Profitons des effets du Brexit

27 février 2017

Malgré les nombreux bouleversements politiques que nous avons connus en 2016, les décideurs européens pourraient réussir à tirer leur épingle du jeu. Le Brexit a écarté un acteur politique majeur qui n’hésitait pas à user de son droit de véto au sein de l’Union européenne et le possible rapprochement entre les États-Unis et la Russie sous la présidence Trump ouvre de nouvelles possibilités de coopération européenne en matière de défense. Bruxelles, Berlin et Paris arriveront-elles à convenir d’un avenir en commun sur ces sujets ?

Les discussions quant à une coopération renforcée strictement européenne en matière de défense, voire la formation d’une armée européenne, existent depuis de nombreuses années – si ce n’est des décennies, compte tenu de l’initiative française de la Communauté Européenne de Défense (CED) qui fut elle-même avortée dans les années 1950 suite à un véto. Les récentes tentatives visant à renforcer les politiques de défense communes remontent au Traité de Maastricht et à la création de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC) en 1991, puis à la création de la Politique Commune de Sécurité et de Défense (PCSD) en 1998. Toutefois, aujourd’hui, l’intégration européenne en la matière n’a été, au mieux, que rudimentaire.

Ironie du sort, c’est le Royaume-Uni qui, il y a 18 ans, donnait naissance, avec la France, à la Politique Européenne de Défense et de Sécurité (PESD). Cependant, les intentions des deux pays fondateurs différaient : alors que la France cherchait à renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis, le Royaume-Uni souhaitait avant tout démontrer au gouvernement américain que l’Europe prend au sérieux sa responsabilité sur les questions de défense.[1] Cette initiative a abouti à la création de l’Agence européenne de défense (EDA) et des Battlegroups de l’UE en 2004. Depuis, l’intérêt britannique pour les projets communs de défense européenne s’est nettement réduit, ce qui a conduit à un « Brexit » progressif des efforts en matière de défense commune.[2]

Malgré ce désengagement, faire face au Brexit n’aura pas été sans difficulté. Avec la France, le Royaume-Uni est le seul pays du continent européen qui possède encore une gamme complète de capacités militaires, y compris des armes nucléaires, un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et une base industrielle performante. Le Royaume-Uni est le seul pays européen doté de forces et d’infrastructures navales considérables, ce qui a été renforcé par sa sélection en tant que siège de la mission anti-piraterie Atalanta de l’UE au large de la Corne de l’Afrique.[3] En outre, le Royaume-Uni contribue environ à un quart du budget militaire de l’UE. Il ne fait donc aucun doute qu’une future armée européenne sans le Royaume-Uni serait beaucoup moins puissante et jouerait seulement un rôle périphérique.[4]

A contrario, avec le Royaume-Uni qui quitte la politique de sécurité et de défense commune de l’UE, de nouvelles portes peuvent s’ouvrir dans plusieurs domaines politiques si tant est que la volonté politique dans les capitales européennes soit assez forte. Quelques exemples : ces dernières années, le Royaume-Uni s’est opposé à toute nouvelle augmentation du budget de l’EDA, ce qui a limité sa portée ; le Royaume-Uni s’est par ailleurs opposé à la création d’un quartier général militaire de l’UE, ce qui devrait dorénavant être une priorité pour les 27 pays restants. L’augmentation du budget de l’EDA ainsi que la création d’un QG militaire devraient maintenant devenir des priorités absolues au sein de l’UE. Surtout, il sera essentiel d’améliorer les efforts de mutualisation et de partage, ainsi que la production et l’approvisionnement militaire.

Les décideurs européens devraient maintenant se focaliser sur les négociations du Brexit afin d’en tirer le meilleur parti. Ils devraient stimuler la coopération en matière de défense et entreprendre les réformes auparavant bloquées par le Royaume-Uni, y compris l’augmentation du budget de l’EDA, l’harmonisation des processus d’approvisionnement et l’intégration fragmentaire des capacités militaires opérationnelles. Il serait irrationnel, aussi bien d’un point de vue militaire que financier, que les membres de l’UE conservent entièrement leurs capacités militaires individuelles. Les pays européens doivent donc surmonter leurs hésitations stratégiques et fusionner leurs forces armées. La voie à suivre peut être illustrée par l’exemple des pays du Benelux. Depuis 1995, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ont un commandement unique pour leurs forces navales. La France et l’Allemagne ont aussi une brigade commune, bien que souvent critiquée pour son caractère symbolique.[5]

Par ailleurs, l’UE des 27 doit, dans la mesure du possible, tenter de garder le Royaume-Uni au sein de l’architecture de défense de l’Union. Cela pourrait être rendu possible en étendant et en intensifiant les projets d’approvisionnement communs, tels que Eurofighter. L’UE pourrait donc profiter de l’expertise et de la main-d’œuvre britannique, et le Royaume-Uni aurait la possibilité d’influencer la politique étrangère et de défense européenne. De plus, avec le Framework Partnership Agreement (FPA), un mécanisme permettant aux États non-membres de l’UE de participer aux missions de la PCSD existe et a déjà été utilisé par plus de 30 pays tiers.[6] Parallèlement, le Royaume-Uni restera un allié fort dans l’OTAN, et donc dans l’architecture de défense européenne, et est même susceptible d’approfondir son engagement dans l’alliance transatlantique.

Alors que le Royaume-Uni quitte la PSDC, il devient nécessaire de modifier le moteur franco-britannique de l’intégration de la défense européenne. Au cours des derniers mois, il s’est avéré que la place du Royaume-Uni pourrait être remplie par l’Allemagne – et peut-être par l’Italie aussi. Leurs gouvernements ont déjà publié des déclarations conjointes à propos des étapes à venir.[7][8]

Il est fondamental que la France et l’Allemagne trouvent un terrain d’entente sur l’avenir de la politique de défense européenne et sur le rôle des interventions militaires européennes. Au cours des dernières années, leurs positions n’ont cessé de varier considérablement. Tandis que l’Allemagne reste attachée à une approche pacifiste historique datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, plutôt civile et diplomatique, la France a souligné sa volonté de s’engager dans des missions telles qu’au Mali ou en Syrie. Bien que les deux pays ont atteint des objectifs significatifs tels que l’accord de Minsk, il reste encore beaucoup de travail. Sur le plan opérationnel, les décideurs devraient dérouler les projets tels que la brigade franco-allemande et harmoniser les cadres juridiques. Stratégiquement, les deux pays devraient fusionner leurs capacités militaires, industrielles et diplomatiques.

Si ce programme est abordé de manière décisive, le Brexit pourrait renforcer la coopération européenne en matière de défense. Compte tenu de l’imprévisibilité de l’administration Trump et des tensions croissantes entre l’Europe et la Russie, il est indispensable que l’Europe dispose d’une communauté de défense forte, aux côtés de l’OTAN. Le pilier de la défense de l’UE ne doit pas dédoubler les structures de l’OTAN, mais plutôt assurer le plus haut niveau d’autonomie stratégique possible. Il revient à présent à la France et à l’Allemagne de prendre l’initiative et de saisir cette opportunité historique.

 

 

Sources

[1] Vivien Pertusot, “European Defence: Do not confuse speed with haste,” European Leadership Network, October 28, 2016, http://www.europeanleadershipnetwork.org/european-defence-do-not-confuse-speed-with-haste_4202.html.

[2] Ibid.

[3] “Defence Implications of Brexit – Further Thoughts,” Think Defence, http://www.thinkdefence.co.uk/2016/06/defence-implications-brexit-thoughts/.

[4] Andrej Matisak,“Brexit: What are the Security Risks for EU and NATO,” May 28, 2016, http://defencematters.org/news/brexit-security-risks-eu-nato/872/.

[5] Rüdiger Soldt and Michaela Wiegel, “Sag’ zum Abschied leise au revoir,”  Frankfurter Allgemeine Zeitung, October 24, 2013, http://www.faz.net/aktuell/politik/inland/deutsch-franzoesische-brigade-sag-zum-abschied-leise-au-revoir-12630958.html?printPagedArticle=true#pageIndex_2.

[6] Thierry Tardy, “CSDP: getting third states on board,” European Union Institute for Security Studies (EUISS), March 7, 2014, http://www.iss.europa.eu/publications/detail/article/csdp-getting-third-states-on-board/.

[7] Andrew Rettman, “France and Germany propose EU ‘defence union,’” EUObserver, https://euobserver.com/foreign/135022.

[8] Joint Declaration by the Chancellor of the Federal Republic of Germany, the President of the French Republic and the President of the Council of Ministers of the Italian Republic,” Government of Italy’s website, accessed December 1, 2016, http://www.governo.it/sites/governo.it/files/dichiarazione_congiunta_ita_fra_ger.pdf.

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Timo est responsable de l’organisation des événements de l’équipe parisienne. Il poursuit ses études avec une spécialisation en sécurité internationale et énergie. Il s’intéresse particulièrement aux questions de désarmement et de maîtrise des armements, ainsi qu'aux politiques européennes de sécurité.

Traduction

Delia Roling & Gaëlle Collin