Désir d’indépendance et interdépendance Européenne : un paradoxe à résoudre

6 février 2020

Jamais dans l’histoire les pays européens n’ont été si interdépendants. Pourtant, en opposition à cet accroissement d’interdépendance, se renforce un désir d’indépendance. Afin de résoudre ce paradoxe, il est primordial de promouvoir l’européanité en renforçant les coopérations transfrontalières. Ces dernières sont essentielles pour poursuivre la construction européenne et tendre vers une Europe fédérale, car elles constituent des manifestations concrètes du bénéfice apporté par l’Union européenne[1].

La prospérité économique en Europe ne suffit pas à justifier la légitimité de l’interdépendance et à taire les désirs d’indépendance. Il est essentiel de considérer les réalités perçues. Les critiques des eurosceptiques à l’égard de l’(in)action tiennent souvent à l’illisibilité des réalisations de l’Union Européenne et de ses bénéfices.

Ce ressentiment se manifeste tant par un désir d’indépendance que par un rejet du projet initial de cohésion, et se traduit à deux échelles, nationale et régionale. Un indépendantisme nationaliste rejettera l’échelon supranational comme l’Union européenne, et un indépendantisme régionaliste revendiquera l’échelon infranational. L’échelon local suscite aujourd’hui un regain d’attachement, comme en témoigne la résurgence de certaines langues régionales[2]. Guidé par un mélange d’aveuglement et de ressentiment envers un supérieur injuste, certains peuples se lancent à la poursuite d’une définition toujours plus étroite et exclusive de leur identité nationale ou régionale. La période actuelle se caractérise ainsi par l’accroissement d’une volonté de retour aux origines, que l’on retrouve à travers le monde, des États-Unis à la Chine en passant par la Turquie.

« La montée du populisme »

Opposer les variables désir d’indépendance et situation d’interdépendance revient à omettre une variable clé : la « montée du populisme ». Le désir croissant d’indépendance dans différents pays d’Europe, qui se manifeste par le populisme, découle en effet d’une part d’une dynamique de repli identitaire et d’autre part du regain des discours nationalistes.

Les mouvements populistes se construisent autour d’un renforcement d’antagonismes. Critiquer les autres pour unir les siens est considéré plus facile que de fédérer une nation autour de valeurs communes. La crise identitaire se manifeste par un désir de repli sur un espace géographique au sein duquel se déploie une identité homogène et commune[3]. Dans certains cas, comme en Catalogne, en Corse ou en Ecosse, cet espace peut se limiter à une région qui cherche à s’opposer à l’État central[4]. Dans d’autres, comme en Hongrie, en Pologne ou au Royaume-Uni, il peut se confondre avec les frontières de l’État-nation. Ces États soulignent le dénominateur commun qu’est la nation et l’opposent au monstre à tendance fédéraliste que serait l’UE[5].

Fondés sur une remise en cause de l’appareil politique européen qui porterait atteinte à l’indépendance décisionnelle nationale, les discours populistes se manifestent de quatre manières différentes à travers l’Europe. Dans les pays de l’Est, le national-populisme est autoritaire et illibéral, comme l’illustrent les cas hongrois et polonais. Dans les pays du Nord, en réaction aux flux migratoires, le populisme exacerbe les craintes des citoyens de perdre leur patrimoine immatériel ou de voir leur mode de vie altéré. Dans les pays du Sud de l’Europe, malgré le phénomène de mémoire politique face aux expériences passées, on constate un populisme dont l’argument économique est central. Dans l’Ouest de l’Europe, ces mouvements se fondent sur une crise identitaire très forte, et mélangent l’affaiblissement des liens sociaux et le délitement d’un roman national que l’on pensait commun et unificateur[6].

Le repli identitaire, qui nourrit les désirs d’indépendance, est également une réaction à la peur de la dilution de son identité individuelle dans un ensemble abstrait et large. Ignorer le traumatisme éprouvé par ces nations qui ont vécu sous le joug des puissances étrangères, qu’elles soient russe, soviétique ou nazie, c’est omettre un élément explicatif du désir d’indépendance croissant en Europe. L’état d’interdépendance économique, le processus d’intégration continu et les mécanismes décisionnels européens des manifestations du pouvoir de l’UE qui peuvent être perçus comme une atteinte à la souveraineté nationale. Pour beaucoup de nationaux, embrasser l’idéal européen est perçu comme l’abandon de ses racines. Les populistes associent ce dévouement à l’Europe comme une marque de soumission à ce nouvel ensemble et d’abandon de sa « patrie » au profit de la mondialisation[7]. Cependant, le projet Européen a pour genèse un idéal d’union et d’égalité qui diffère d’un quelconque rapport hiérarchique de domination et de dépendance[8].

« Aller de l’avant »

Alors que les peuples européens expriment un désir d’indépendance et une défiance à l’égard de la situation d’interdépendance, un réel sentiment d’attachement à l’Europe, dans la tête et le cœur, peut croître si les coopérations transfrontalières sont renforcées. L’européanité ne peut se réduire à la capacité à traverser les frontières européennes. Chaque européen doit pouvoir prendre part à un ou plusieurs cercles transfrontaliers afin de ressentir le potentiel offert par cet espace qui s’ouvre et s’étend au-delà des frontières nationales. L’objectif poursuivi est de dépasser les incompatibilités juridiques, politiques et administratives entre les États, et ce faisant, d’atténuer les frontières économiques, politiques et culturelles, réelles ou perçues. La création de listes transnationales et la formation de réels partis européens devraient être favorisés, condition sine qua non pour réussir à penser ces coopérations transfrontalières.

Références

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[1] Bray, Zoé, et Jean-Baptiste Harguindeguy. « Une sociologie de la construction identitaire. Le cas de la coopération transfrontalière franco-espagnole au Pays Basque », Pôle Sud, vol. 20, no. 1, 2004, pp. 191-202.

[2] Goetschy, Henri, « Langues régionales et relations transfrontalières en Europe », L’Harmattan, 2000

[3] Godin, Christian. « Qu’est-ce que le populisme ? », Cités, vol. 49, no. 1, 2012, pp. 11-25.

[4] Gomez, Jordi. « Les limites de la coopération transfrontalière : l’exemple catalan », Pôle Sud, vol. 48, no. 1, 2018, pp. 91-112.

[5] Enzensberger, Hans Magnus, « Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle », Gallimard, 2011

[6] Ivaldi, Gilles. « Populisme et choix électoral. Analyse des effets des attitudes populistes sur l’orientation du vote », Revue française de science politique, vol. vol. 68, no. 5, 2018, pp. 847-872.

[7] Collectif, « Brexit : ‘’L’amour de la patrie n’exclut pas la solidarité européenne’’ », Le Monde, article, 28 Janvier 2018

[8] Letta, Enrico. « Europe et démocratie », Revue de l’OFCE, vol. 158, no. 4, 2018, pp. 475-481.

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Théodore is 22-year-old student pursuing a master in European Affairs at the Sciences Po School of Public Affairs. At the time of the paper, he was completing an internship in Public Affairs at the WWF European Policy Office in Brussels and was soon to join the cabinet of the French Environment Minister for another internship. Passionate about European and environmental issues, he expects to keep working in these fields after graduation. Meryl is currently completing her Master’s degree at Sciences Po School of Public Affairs. She focuses, among other things, on European Affairs, Public Administration and Public Policy Evaluation. Convinced that education is a key improvement lever, she expects to work in this field after graduation.